Succès d’estime, mais aussi commercial et humain, l’histoire de la Honda Africa Twin et celle du rallye Paris-Dakar sont intimement liées. En revendiquant ce passé prestigieux, la Honda CRF 1000 Africa Twin a provoqué nos envies d’escapades. Et si on partait à Dakar ?

Lorsque en 1986, Honda engage un gros trail bicylindre sur le rallye Paris-Dakar  (la 750 NXR V), il s’agit d’un proto élaboré par le service compétition de la marque, une machine conçue pour gagner et…qui gagne ! Mais il s’agit également de l’acte de naissance d’une machine au succès avéré. Car quand, deux ans plus tard, la version grand public de cette moto arrive en concession, elle porte le doux patronyme d’Africa Twin.

 

hey attends ! pars pas sans moi !

Alors en pleine période où l’Afrique et le Paris-Dakar font rêver une grande partie de l’Occident, l’aventure semble à portée de roues. Le succès commercial sera d’ailleurs à la hauteur des ambitions de cette moto qui, progressivement, se taille une réputation d’increvable. Trente ans plus tard, Honda relève son propre défi en proposant une nouvelle version de cette Africa Twin : la 1000 CRF. Or, si en trois décennies les motos ont évolué, le contexte géopolitique mondial, et africain plus particulièrement, a changé plus encore. L’inquiétude a chassé le rêve, l’appel du désert s’est changé en crainte des attentats. Alors, histoires de faire la peau aux préjugés, tant vis à vis du voyage que de la moto en elle–même, nous avons décidé de quitter Paris pour rallier Dakar au guidon de cette, déjà tant convoitée, CRF 1000. Nous voyagerons en duo sur une moto dont les aménagements se résument à une béquille centrale et la bagagerie d’origine.

Une valise reçoit le matériel image et informatique, l’autre le camping et le « garage » (chambres à air et nécessaire anti-crevaison, quelques outils et leviers de rechange). Un sac étanche en travers et une sacoche de réservoir aimantée viendront compléter notre équipement. Soit 35 à 40 kg de matériel. Mi Juin, la moto est chargée, le plein est fait, le thermomètre du bord indique 25º, nous mettons le cap au sud. C’est par le réseau autoroutier que nous traversons l’hexagone. La position de conduite naturelle du trail est agréable et, malgré les heures qui s’enchainent, ne suscite pas de fatigue. Le petit pare-brise dévie les filets d’air… pile dans le casque ( !), mais puisqu’il n’est pas ajustable, il faudra s’y faire ! Ma passagère est assise un peu plus haut que moi, les pieds en butée dans les valises, mais, bonne surprise, la selle s’annonce confortable. De toutes façons, tous les 200 km le dernier témoin de la jauge à essence nous invite à la pause. Nous avions réservé un passage en ferry de Barcelone à Tanger pour nous éviter une longue liaison à travers l’Espagne, mais deux jours avant la date, la compagnie nous annonce que la traversée est annulée… Nous ferons donc 1300 km de plus que prévu, pour rouler jusqu’au Maroc.

C’est par l’enclave espagnole de Melilla que nous arrivons sur le sol africain. Ceuta et Melilla sont en effet deux villes espagnoles en bordure du détroit de Gibraltar. Deux morceaux d’Europe en Afrique, aux frontières « protégées » par de hauts grillages surmontés de barbelés. La Guardia Civil d’un côté, la gendarmerie marocaine de l’autre, les clandestins en route vers l’Eldorado européen font profil bas…

C’est en plein ramadan et en été que nous pénétrons en territoire marocain. On nous conseille, à juste titre, de nous approvisionner en eau et nourriture, car dans la journée les restaurants et magasins d’alimentation sont souvent fermés. D’ailleurs les villes semblent vides et l’ambiance des rues habituellement grouillantes n’est pas d’actualité. À l’heure où l’on « ne distingue plus le fil noir du fil blanc », la vie reprend son cours normal et les terrasses se remplissent. Nous allons partager le « menu du ramadan » : soupe « harrira » avec du pain, dates, œufs durs, « vache qui rit », thé et pâtisseries. Souvent, à l’heure de la rupture du jeûne, les marocains nous interpellent pour nous inviter à partager leur repas. Dans la tradition, le ramadan est, plus encore qu’en temps normal, un moment de partage avec ses voisins, mais aussi avec le voyageur de passage.

À mesure que nous progressons vers le sud, les paysages se désertifient et la chaleur augmente. Après un printemps particulièrement pluvieux en France, le contraste est saisissant et nous peinons à nous habituer. Désormais c’est un quotidien entre 35 et 40 º avec lequel il faut composer et quelques pointes à 45º. Côté mécanique, l’augmentation de la température de l’air n’est pas perceptible puisque la température moteur reste au milieu de la jauge, le ventilateur ne se déclenche que rarement et aucune sensation de chaleur ne remonte vers le pilote. Tant mieux ! Fès est située dans une cuvette où la chaleur est omniprésente. Même chose du côté des dunes de l’erg Chebbi près de Merzouga ou encore à Marrakech. Mais bientôt nous nous approchons de la côte Atlantique. Les températures y sont plus douces, et l’ambiance très différente. Car si les marocains eux-mêmes surnomment Marrakech « Arnakech » en raison de l’insistance des vendeurs, guides et intermédiaires en tout genre que suscite le tourisme de masse, les tours-opérateurs ne vont pas dans le grand sud du pays. On pense souvent que Agadir (située à environ 1000 km de Tanger) est au sud du Maroc, pourtant, jusqu’à la frontière avec la Mauritanie c’est 1500 km supplémentaires qu’il reste à parcourir. Il s’agit du désert du Sahara Occidental, un territoire revendiqué par les Sahraouis du Front Polisario depuis des décennies mais que les chefs d’Etat marocains ne sont jamais résolus à abandonner. Au contraire, des agglomérations nouvelles ne cessent de s’accroitre dans une politique manifeste d’occupation de l’espace. D’ailleurs à partir de Laayoune la présence militaire se traduit par des contrôles réguliers sur les routes où sont notés les identités des voyageurs. Dans cette zone, l’essence est détaxée (0,70 cts le litre) et le tourisme inexistant redonne la part belle aux rencontres et aux échanges de passage, toujours d’une grande gentillesse. La route en bord de mer offre quelques paysages uniques : d’un côté le désert, de l’autre, en contrebas d’une falaise, l’océan Atlantique. À la nuit tombée il n’est pas rare d’apercevoir au large, les lumières de bateaux de pêche. Car à partir d’ici, et plus encore côté Mauritanie, ces eaux sont réputées pour être particulièrement poissonneuses. D’ailleurs, Nouadhibou la ville du nord de la Mauritanie doit sa richesse à son port qui partage son activité entre cette industrie et l’acheminement du minerais par le plus long et plus lourd train du monde : le train minéralier du désert.

Dans le no man’s land entre Maroc et Mauritanie, une dizaine de km de piste relie les deux poste frontières. Une piste jonchée d’épaves de voitures et de télévisions ( !) mangées par le sable. Il fait un bon 40º, et, en manœuvrant comme un gros nul, j’étale la moto dans une ornière de sable mou… Hormis le ridicule de la situation, nous ne sommes pas trop de deux pour relever les 260 kg sur lesquels nous étions assis quelques secondes auparavant. En oubliant de déconnecter l’ABS, on ne déconnecte pas non plus le contrôle de traction. Résultat, dans le sable mou le moteur régule en ratatouillant, on perd de la motricité, l’avant « plante » et les bras ne suffisent plus à tenir le poids de l’ensemble… Parfois on en vient à maudire la technologie et ses « béquilles électroniques » ! Au passage, je me rends compte que le protège levier n’a rien à voir avec les modèles rigides qui équipent les motos de tout terrain : instantanément en vrac, il n’a pas protégé le levier d’embrayage qui a adopté une nouvelle forme en S. Après une récupération nocturne à Nouadhibou, nous reprenons la route du sud. 500 km de désert nous attendent pour rejoindre Nouakchott, la capitale. On nous apprend que la veille, il faisait 50º sur cette route. Nous partons donc très tôt pour éviter les grosses chaleurs. Une station service est située à mi-chemin, la station de « la gare du nord ». En roulant doucement, il nous est déjà arrivé d’effectuer plus de 250 km, nous partons donc confiants. Mais arrivés à destination, le gérant de la station m’apprend qu’il n’y a pas d’essence ! En Mauritanie, il y a quasiment exclusivement des véhicules diesel, aussi l’essence s’évapore avant de l’avoir vendue… Donc, il ne s’approvisionne plus en essence. Il finit par accepter de me vendre 5 litres qu’il conserve dans un bidon pour son groupe électrogène mais, bien sûr, ce n’est pas suffisant pour parcourir 250 km. Par téléphone il arrive à joindre un commerçant qui possède 4 litres supplémentaires à 150 km de là. Nous repartons donc en roulant à 70km/h pour économiser notre essence, mais par 45º, l’exercice est intéressant pour les nerfs ! Je regretterai à ce moment là que le calcul d’autonomie n’existe pas sur notre modèle. La consommation instantanée, qui elle est affichée, n’étant pas d’une grande utilité. Nous arrivons dans la capitale en fin d’après midi où nous retrouvons la fraicheur de l’océan ainsi que de l’essence.

Quelques jours plus tard, nous franchissons le fleuve Sénégal sur le bac de Rosso. Nous entrons au pays de la Terranga et faisons escale à Saint Louis. Le pont Faidherbe permet d’atteindre les quartiers historiques, de l’autre côté de la lagune. Nous passons devant le célèbre hôtel de la Poste, ou descendait Mermoz du temps de l’Aéropostale. Très majoritairement musulman, le Sénégal vit encore sous le rythme du ramadan, mais par ici la lecture du Coran est plus paisible et ma compagne retrouve le plaisir des échanges spontanés qui contrastent avec la Mauritanie, plus austère. En soirée, les bières fraiches retrouvent les tables des bars. En prenant l’itinéraire le plus court, Dakar est à 350 km. Mais nous avons décidé de poursuivre la route vers la Casamance. La région sud du Sénégal, frontalière avec la Guinée Bissau que l’on atteint après avoir traversé la Gambie anglophone et le fleuve Casamance. Là-bas, c’est le royaume de la forêt, qui contraste avec la savane sahélique des baobabs du nord du pays. Manguiers couverts de fruits et fromagers, avec leurs grandes racines plates font désormais partie du paysage. Récemment signalée comme « zone déconseillée » par le ministère des affaires étrangères français, en raison de « troubles » sévissant dans la région, les barrages militaires sont encore très présents. Cependant l’ambiance y est décontractée, comme dans le reste du pays.

Par des pistes de latérite rouge, nous retrouvons bientôt la route de Dakar. Après une dernière escale du côté des plages de la « petite côte », nous atteignons la « pate d’oie » puis le goulet de Rufisque avant d’atteindre la route de la corniche et enfin la place de l’Indépendance, au cœur de Dakar.

Axel, un motard camerounais qui vit à Dakar, nous aborde en voyant notre Africa Twin. Il roule en 1200 GS mais est très intéressé par notre Honda. Il me bombarde de questions sur son comportement puis nous propose de nous mettre en relation avec des motards locaux et si besoin avec un garagiste spécialisé en gros cubes (qui restent rares ici). Mais, même s’il est vrai que le voyage transsaharien s’est beaucoup simplifié, notre machine est d’une fraicheur qui ne réclame aucun soin. D’ailleurs dans une quinzaine de jours nous serons à Tanger où un ferry nous attendra pour un retour vers la France dans les temps. Au total nous aurons ainsi parcourus 13000 km en 45 jours de voyage, sans le moindre souci. Or, de notre point de vue, pour rester dans le plaisir, la moto doit servir le voyage et non le contraire. Alors mission accomplie pour cette petite fille du désert !

Publié dans le numéro de septembre de Moto Magazine.

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